Afrique. Entre coopération et prédation, un continent sous influence

Richement dotée en ressources naturelles et bénéficiant d’une démographie exponentielle, l’Afrique a tout pour réussir. Et pourtant, le continent peine à prendre toute sa place dans la mondialisation. Certes, comme au lendemain de la décolonisation, nombreux sont aujourd’hui les experts à annoncer l’irrésistible affirmation de la puissance africaine. Sans nier le dynamisme de son économie, bien des défis doivent cependant être encore relevés, à commencer par la faiblesse des États, qui autorise toutes les convoitises étrangères.

Pour preuve, après avoir été un enjeu de la rivalité Est-Ouest et la chasse gardée des anciennes puissances coloniales, l’Afrique est désormais la proie des Émergents – Chine et Inde en tête. « Toute la question alors est de savoir si la richesse minière de l’Afrique sera une chance ou une malédiction« , résument Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski dans leur ouvrage Chindiafrique paru chez Odile Jacob. Au centre du « grand jeu » planétaire, le continent est l’échiquier de luttes d’influence aux multiples facettes…

Restés longtemps à l’écart de la mondialisation, l’Afrique et ses 54 États souverains suscitent un nouvel intérêt stratégique. Pourtant « mal parti » (René Dumont) au lendemain de son indépendance, déchiré par les guerres indirectes de la Guerre froide puis par celles, plus destructrices encore, de l’époque récente, en prise enfin avec une crise de la dette depuis 1980, le continent provoque de nouveau l’engouement. Même si son activité relève toujours aux deux tiers de l’économie informelle, la moyenne de sa croissance globale avoisinerait les 5% annuels sur la dernière décennie, notamment grâce à l’importance de ses rentes (minières, agricoles, etc.).

Le développement africain reste certes très inégal et diffère sensiblement d’un pays à l’autre. Mais, derrière la diversité et la géographie, les violences interethniques et les défis sécuritaires, se profile pour le continent un destin commun, largement dessiné par ses partenaires internationaux.

Des ressources naturelles et humaines stratégiques

L’Afrique possède près d’un tiers des réserves minérales mondiales : 81% du manganèse, 68% du chrome, 55% du platine, 44% du vanadium, 40% de l’or… Sans oublier les gisements en terres rares auxquelles les industries contemporaines sont si dépendantes (voir la note Géostratégie des matières premières).

Pour le pétrole, le continent ne détiendrait que 13% des réserves prouvées, mais ses coûts d’extraction et de production sont très compétitifs. Aux côtés des trois géants de l’Afrique pétrolière que sont le Nigeria, l’Angola et la Libye, d’autres pays se hissent en bonne place, comme l’Algérie ou plus récemment la Guinée équatoriale.

Si l’Afrique dispose des ressources, elle n’est cependant pas encore en mesure de les transformer en véritable levier d’un développement durable. Parmi les nombreuses raisons, il faut souligner l’étroite dépendance des PIB nationaux au cours des matières premières, dont l’indice est extrêmement volatile. L’Afrique subsaharienne y est d’autant plus sensible que ses caisses de stabilisation n’ont été que très peu alimentées lors des périodes de flambée des prix…

Autres ressources : la terre et l’eau. Pour nourrir une population mondiale qui devrait atteindre 9 milliards d’individus en 2050, « il faudrait que l’Afrique fasse plus que quintupler sa production« , rapporte le grand reporter Jean Jolly dans son dernier livre, Les Chinois à la conquête de l’Afrique. Près de 90% des surfaces arables non exploitées sont situées sur le continent africain et en Amérique latine.

L’enjeu est de taille pour la sécurité alimentaire des Africains, mais également pour les grandes firmes de l’agrobusiness. « L’accès à la terre et à l’eau – indispensable à l’irrigation des cultures et aux élevages – deviendra très rapidement primordial. Cette bataille a d’ores et déjà commencé, comme en témoigne le rachat de terres africaines arables par des pays du Golfe, parla Chineou encore par des entreprises agroalimentaires occidentales » (voir la note La faim dans le monde : une fatalité géopolitique).

Le continent africain n’a pas les ressources naturelles pour seul atout. Sa démographie est en passe d’en faire un « poids lourd » mondial. La population en âge de travailler « devrait exploser en nombre absolu, passant de 430 millions à 960 millions entre 2000 et 2030, pour dépasser celle de l’Inde dans les années suivantes« , estiment Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski. L’émergence d’une classe moyenne de plus en plus dynamique représente de nouveaux débouchés, que se préparent à conquérir les multinationales étrangères.

Selon le FMI, 22 pays subsahariens atteindront à l’horizon 2015 un PIB par habitant suffisant pour voir s’y développer une consommation de masse. Industrie automobile, informatique ou même enseignement supérieur (voir la note Géopolitique du savoir : l’enseignement supérieur à l’heure de la mondialisation) : les marchés potentiels attisent toutes les convoitises.

Les grandes puissances du moment à la conquête du marché africain

Sans constituer un nouvel eldorado, l’Afrique et ses ressources ne représentent pas moins un nouvel échiquier stratégique. Dans une mondialisation dont l’extension touche à sa fin, le continent apparaît comme le dernier grand marché à conquérir. D’autant plus que la faible capacité des États africains à assurer l’exploitation de leurs ressources ne peut qu’inciter de nombreux pays à y investir massivement.

« En se retirant et en se désintéressant de l’Afrique, les Européens y ont favorisé le chaos, puis facilité la pénétration chinoise« , résume Jean Jolly. Une pénétration qui n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Ainsi de la fameuse « Chinafrique », ce néologisme qui désigne l’ensemble des relations politiques, diplomatiques et socio-économiques entre la Chine et le continent africain.

Débutées au lendemain de la conférence de Bandung, en 1955, les relations sino-africaines se sont consolidées à la faveur de la période de la décolonisation, par le soutien de Pékin aux divers mouvements d’indépendance. Depuis une quinzaine d’années, la « Chinafrique » est devenue un volet à part entière de la politique étrangère dela Chine, notamment pour s’assurer l’approvisionnement en pétrole dont a besoin son économie.

La stratégie d’influence chinoise repose sur le pragmatisme. Pas question ici de lier ses investissements au respect des droits de l’homme ou aux critères démocratiques. Pékin « revendique la solidarité des Suds, apporte cet argent qui manque cruellement et une coopération technique généreuse, en échange des richesses dont elle est avide pour financer sa croissance record« , analyse la géographe et économiste Sylvie Brunel. Cependant, de plus en plus de gouvernements ont l’impression d’une exploitation éhontée, parla Chine, de leurs richesses et de la main-d’œuvre africaine.

Adeptes eux aussi du soft power, les États-Unis tentent de regagner du terrain en misant sur les limites de la « Chinafrique ». Ils proposent ainsi davantage de coopération et de partage des ressources aux gouvernements locaux. Bref, le partenariat plutôt que l’assistanat, la thèse centrale américaine étant que la « malédiction des matières premières » n’est pas une fatalité. Dans le discours, la promotion de la démocratie reste essentielle, car présentée comme le seul moyen de réduire les inégalités et d’assurer la prospérité.

Mais sur quel tempo ? Les Américains se montrent prudents, conscients qu’un multipartisme trop rapidement imposé risquerait de renforcer un clientélisme ethnique encore très présent, au détriment du respect des minorités. Outre les classiques accords bilatéraux, Washington use de l’influence pour s’ouvrir de nouveaux marchés, notamment via l’aide humanitaire et l’envoi de missions évangéliques.

L’Inde est également très présente, mais sur un mode plus original. Ce sont en effet les entreprises – et non l’État – qui ont les premières compris le potentiel commercial que pouvait représenter l’Afrique. Delhi n’a pris conscience que très récemment de l’importance géopolitique du continent, le premier sommet Inde-Afrique n’ayant été organisé qu’en 2008. Le gouvernement indien entend comme les autres sécuriser ses approvisionnements en ressources stratégiques. Il s’appuie pour cela sur un secteur privé déjà fortement implanté pour vanter les mérites d’une coopération gagnant-gagnant, avec une critique sous-jacente de la politique chinoise.

Quelle alternative à la « Françafrique » ?

L’arrivée des Émergents en Afrique bouscule les sphères d’influence traditionnelles des ex-puissances coloniales. À commencer par la France, écartelée entre mauvaise conscience et nécessité économique, ambitions et réduction de ses moyens d’action. L’armée française intervient au Mali, certes, mais sans savoir si elle en aura encore la capacité après le vote de la prochaine loi de programmation militaire.

La France est en toute hypothèse contrainte de réinventer ses relations avec le continent. Dans les mémoires collectives, de part et d’autre de la Méditerranée et du Sahara, l’héritage de la présence française est encore bien présent. Entre « amour, haine, dépit… Les relations franco-africaines sont secouées par ces sentiments contradictoires d’autant plus vifs que le déclin de la France s’est accéléré depuis la crise » de 2008, note Jean Jolly.

La nouvelle dynamique géostratégique ne doit pas cependant conduire à minimiser l’influence française, liée pour l’essentiel à ses entreprises, ni l’importance du continent pour l’ancienne métropole : 32% du pétrole et 30% de l’uranium nécessaires à l’économie française proviennent d’Afrique. Dans ce contexte, c’est bien l’État qui semble en quête d’une stratégie cohérente.

En attendant de définir le nouveau modèle sur lequel fonder notre influence, deux outils semblent privilégiés : la francophonie et la diplomatie économique d’une part, l’Europe d’autre part. La récente tiédeur de nos partenaires au Mali sonne comme une fin de non-recevoir à toute velléité d’européanisation de la stratégie à mettre en œuvre pour faire pièce aux nouvelles puissances.

Reste la francophonie. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a ainsi annoncé début 2013 que, « dans le cadre de notre diplomatie francophone, nous conforterons la dimension économique de l’espace francophone et développerons les mécanismes de coopération économique ». L’arbre sera jugé à ses fruits.

source: notes-geopolitiques.com

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